Jean Lorrain


« Ce qui m’aide à vivre c’est de savoir que je suis odieux à tant de gens. »
Voilà ce qu’aimait à dire Jean Lorrain (1855-1906).
À l’époque, il se voit toujours escorté par toute une brocante de titres : décadent, «enfilanthrope», journaliste le mieux payé de Paris, excentrique, langue de vipère, éthéromane, lutteur de foire, provocateur, infréquentable. Par bonheur, Lorrain n’a jamais démérité ; il encourait la réprobation avec entrain, et même quelque orgueil. Tôt dans sa carrière, il s’adonna à l’éther. Pour des raisons de santé d’abord, pour noctambuler dans son âme ensuite.
Rappelons ici que l’éther est un liquide très volatil et inflammable. Il s’obtient par la distillation d’un acide mêlé avec de l’alcool. Alors il devient un solvant prescrit en tant qu’analgésique par la médecine. Prise à doses fortes et régulières, la morbide liqueur crée elle-même des distorsions de l’ouïe, engendre des visions frelatées. D’où, pour Lorrain, une période littéraire pleine de contes fantastiques et macabres à souhait.
Il buvait l’éther à pleine gorgée, et créa, avec un toupet incroyable, ce cocktail : « râpures de noix de coco, fraises et cerises fraîches dans un bain de champagne frappé, et là-dessus cinq cuillerées à café d’éther ». Un peu comme si François Sagan avait proposé un Banana Split à base de cocaïne…
Cette addiction eut raison de Lorrain, qui en mourut.



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